‘April Rain’ (extrait) – Stéphane Batsal
Titre

‘April Rain’ (extrait) – Stéphane Batsal

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Les types sont sciés et le Golem se demande si vraiment il va baiser avec elle un jour. Il veut connaître le Crapaud et entrer dans son histoire mais ça a l’air mal barré. Il flippe grave de pas pouvoir ajouter de tâches au cuir ou de fissures au skaï. Baruch dit : putain la Glacière quand même ! Les musicos qui tiennent le lieu se sont fait rouler dessus pendant le festival Bomb Asses Fest à côté du Mans, le préfet et le maire leur sont passés dessus. Et ouais, y’avait eu cette histoire, les deux mecs hurlaient en tendant le poing, debout sur le plateau de leur pick-up qui fonçait à travers le camping : foutez le camp, tout le monde a le droit de vivre tranquille à Allonnes ! débarrassez le plancher bande de drogués, d’anti-conformistes, d’anarchistes, d’ultragauchistes, d’antifas, de vegans, de féministes, pédés illettrés, parias, staliniens, crevards ! On aurait dit qu’ils chassaient le gnou ou le buffle et une tente débordait un peu sur l’allée centrale avec quatre jambes qui dépassaient un peu plus. Ils leur ont roulé dessus. Des chiens presque invisibles dans la poussière rouge couraient derrière le pick-up pour finir les restes – bon, les chiens avaient juste sauté par dessus leurs jambes cassées. Tu peux pas les oublier April, reprend Baruch, tu t’es engagée pour ce concert. On s’est engagé avec Mort pour jouer demain là-bas, dit Hache. Bon on bouge, dit April, et ils se retrouvent rue Gaulthier de Rumilly à Amiens à l’aube. C’est une longue rue qui grimpe depuis les environs du Cirque d’hiver jusqu’à une sorte de boulevard circulaire. April dit : on s’arrête là, c’est la maison d’un poète et d’une danseuse russe, il faut qu’on s’arrête là. Faut qu’on arrête. Elle ajoute : bon ok, y’aura un concert si vous voulez mais je le fais pas. Faites-le vous et comme vous le sentez, utilisez mon matos si vous voulez et avant allons acheter de la vodka. Et ce jour-là Krzysztof Skapiec se joint à Baruch Chirzone, Bernard Pauillac et Hache Göteborg pour la première fois. La brume du matin semble déposer un couvercle de verre fin sur la maison du poète et de la danseuse russe format pendulette, et c’est là qu’ils deviennent Le Golem, le Passeur, le Barreur et le Messager. Ils sont assis en cercle (en gros, parce que l’habitacle est étroit et le matos encombre) et vont jouer ce soir à la Glacière ensemble pour la première fois. Ce sera pas Mort, et une fois de plus le public sera déçu et enchanté. Ce sera le Cercle, le Cercle des Mallissimalistes. Un nom trouvé dans le camion. C’est toujours dans les camions à la carrosserie trouée par la rouille, dans les bagnoles fumantes chargées de types et d’instruments et de matos de toute sorte, celles qu’on entend arriver à des bornes, que se trouvent ces idées. En tournée. Et c’est pour ça que les groupes tournent sans cesse et que rien ne les arrête. Et le concert sera mythique et April Rain ira vers chacun d’eux en disant : Putain mec.