‘Une dernière fois oui’ (extrait) – Cédric Demangeot
Titre

‘Une dernière fois oui’ (extrait) – Cédric Demangeot

description

Imagine, une tête
en forme de flaque
à perte de vue.
un enfant la traverse en courant
il éclabousse, il rit
365 enfants
jouent à cache-cache
dans les ruines de babylone

la tete n’en finit pas
d’étendre son désert

1 enfant, plus petit
que les autres

petit comme un poisson vivant
dans l’eau de la flaque,

plante le drapeau pirate
à la cime du

charnier qu’avec 365 000
morts fabriqua papa,

365 siècles
à casser des cailloux

à se les casser
sur la tête

heureusement

la tête
est dure

la flaque
plus profonde que le fleuve

et la migraine est politique.

On a tout fait. Tout fait pour
enfoncer l’homme (ou son père)

& la langue, & l’enfant
365 pieds sous terre

on ne pouvait
pas deviner

que l’engrais & les gaz mortels
sortaient de la même usine

de cette usine
où travaillaient nos pères, où

travailleront,
travaillent déjà nos enfants,

Il ne faut pas désespérer, dit
la Dame, mais

respirer contre la terre

il fera beau demain, non,
l’année prochaine,

il sera toujours
temps d’y penser, à la faveur

d’une éclaircie, d’un trou
d’obus dans le plafond

de l’usine à dératiser le coeur,

Il sera toujours temps,

à l’heure de la
pause cigarette, ou
de la récréation,
d’imaginer
l’inimaginable

de tracer le contour
des ombres sur le mur

et de compter les trous

de leur donner, à chacun,
quelque chose comme un nom

le jour où le fleuve
coulera à l’envers

il sera toujours temps
de réciter l’horreur

En accompagnant chacun
son éléphant, sa profondeur

ou sa mère au cimetière, on
croise le chemin de la petite fille

elle fait la mendiante
avec un couteau

elle raconte aux passants l’histoire
de son père qu’elle a vu

faire la guerre, et l’histoire
de sa mère qu’elle a vu

faire l’amour
avec un enfant
qui portait la robe d’un Juge :

on croit
rêver,

Imagine, la petite fille
est vêtue de rouge

comme dans un conte
fabriqué par les hommes

à moins que ce ne soit
sur un vêtement blanc le sang

de l’animal (ou de l’homme)

qu’elle a laissé sans vie sur la route,

on croit
rêver, elle est
toute nue,

nue dans la forêt fermée
d’un conte fabriqué
par un bourreau

comme dans un jardin
fleuri de schizophrénie

ses dents, ses yeux, son couteau
brillent contre le jour –

Imagine, elle

épouse un désert,
épouse le bourreau.

Nous sommes seuls

enfin seuls, mon ami, mon
amour, avec

l’écho de la profondeur
entre nous

comme un gri-gri cassé de poussière
entre nos mains,

– les enfants sont loin,

Imagine, nous sommes seuls,

nous ne sommes
plus qu’1

– ou ses morceaux
restés en travers de la route

– en travers de la route des enfants,

– en travers du chemin de
fer dont on hérite
l’entretien de père

en fils depuis 365
générations de rats
de toutes les couleurs & libres
de pisser sur les murs
dans le couloir du laboratoire –

– en travers de la
gorge de la
Dame à qui les enfants
tirent la langue depuis qu’on sait qu’elle est
la bobonne au bourreau –

La fête qu’on se donne
c’est un grand nettoyage,

un luxe politique :
on décrète un printemps

(sous peine de punition
écrite : six millions de lignes)

chacun (grands & petits)
met la main à l’ouvrage

chacun doit rapporter
des profondeurs de la forêt

une main coupée pour preuve
de participation à l’ouvrage

on travaille sans compter
on déboulonne les rails

pour les poser (en parallèle)
un peu plus loin

on renomme
le fleuve, on récrit

l’histoire de nos père & mère

on mélange, dans l’éprouvette
ou dans la flaque

le sperme des Juges et le sperme des bourreaux

: il sera toujours temps

le jour où le ciel sur la corde
sera sec
de faire des enfants avec ça

il sera toujours temps

– quand l’orage aura
interrompu la fête, chassé
les idées noires, dispersé
les rats prêts à piller les restes
de viande & de conscience laissés
à la santé de l’avenir dans les assiettes –

il sera toujours temps
de vider la mémoire, d’essayer
d’engrosser la Dame dans un coin, mais

la petite fille
ne reviendra plus : le
poisson vivant
l’a avalée,

Les enfants
sont loin – partis jouer
à l’ombre du bourreau,

nous les reverrons
au siècle prochain

dans la couveuse de la tête

vêtus de noir
comme des momies

ou de rouge
comme dans un cauchemar

intacts, éblouis

Ton enfer, dit papa,

je te le dessinerai demain :
quand tu auras mangé ta soupe.

Quand tu auras
terminé tes devoirs,
trié les vêtements
des morts, rangé le train
dans une boite, &
enterré la boite
au fond du jardin de ta mère.

Ta soupe de mémoire,
ton devoir d’épluchure.

& la dette à payer
de 36 virgule 5
générations déguenillées, rassemblées

sur la place publique, en
pleine lumière, où la petite fille
a disparu.

Il sera toujours temps, dit
le bourreau, dit
papa, de

faire l’amour un autre jour, au
siècle prochain : 365

secondes de joie foutue
dans la flaque & de dire

une dernière fois oui