Habitus (extrait) – Stéphane Batsal
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Habitus (extrait) – Stéphane Batsal

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Datura, je veux de la productivité et du rendement et pas du ponctuel non mais du minutieux en constance – je veux enfin je VOUDRAIS baby voudrais rien t’imposer mais je veux – du cycle court petite chatte entre les différents désirs et de la résistance à la verse du gui et pas de glissade si je te demande de sortir de bagnole – pour aller où aller vers le bleu c’est ça hein je lui demande parce qu’y’a que ça mec il en vient de partout ou c’est le bleu en reflet ou le noir en dégoulinades devenant bleu en éclairage j’ai pas le choix et il dit putain t’as vu comment tu parles de mon maïs de mon champ de maïs comment tu salis et altères le maïs de mes champs il ajoute : tu viens de la rouille ou quoi ; je t’ai vue rousse belle rousse métallique je veux dire qu’il n’y a que les rousses pour faire sourdre du visage cette lumière de porcelaine nimbée de fauve translucide mais peut-être que tu dois tout à la rouille et que la féerie aperçue n’était que ferrique et qu’avec elle vous allez dévorer tout mon champ – ton champ suinte et pourrit et fermente mais c’est pas moi que tu vas faire carburer (si je dis ça c’est qu’au début tout se passe bien entre nous il y a la lune et la clairière et encore avant ça dans la journée je pars faire des provisions et après avoir déposé mes paquets impossible de démarrer la caisse et me v’là en panne devant le magasin lors il arrive comme le sauveur gras aux doigts et cambouis sous les ongles et je me dis quelle chance un putain de mécano pas mal en plus et je pense à mes courbes rondes et plus rondes et nombreuses en profondeur tendre que ce qu’il palpe en dur à la Facom alors je lui demande pour la caisse atone et il me dit avec plaisir mais je ne suis pas mécanicien alors c’est pas moi qui vais te faire carburer baby et on se marre tous les deux) et donc après ma sortie sur ses champs pourris il dit : réutilise pas mes mots chérie c’est moi qui ai parlé de carburer et t’as pas compris Datura : t’étais la dernière en magasin et quand la porte-moustiquaire a claqué j’ai su que c’était toi et vite retiré les bras de sous ton moteur et passé d’à-genoux sur pieds suis allé me planquer et – tu as fait comme si tu apparaissais en mécano-sauveur et en te penchant en arrière colonne brisée tu as levé les bras vers la lune et bizarrement sa lumière est devenue sombre en coulures visqueuses depuis tes mains et tout au long de tes avants-bras – ouais c’était le gras de ta caisse trafiquée par ma-gueule baby – et je pensais que t’étais un putain de mécano un messie de la tête de delco mais t’étais rien de ça – rien de ça Datura : juste un type qui te montrait la lune et projetait de t’emmener à un endroit où la voir est singulier et où faut passer de cahots en bosses et de trous en chocs de bas de caisse pour accéder AU BON MOMENT dans la clairière qui cueille sa lumière accueille son halo et devant le magasin je t’ai dit – t’as rien dit t’es passé sous le moteur et revenant de sous le moteur là tu as dit quelque chose tu as dit c’est mort mort pour ce soir mort pour ce soir chérie puis je peux te ramener dans la mienne la bleue que tu vois là-bas et si tu veux je reviens demain réparer amical et tu avais à ce moment-là les avants-bras qui dégoulinaient de lumière de lune noire je veux dire la liqueur de cambouis que la lune sombre éclairait et je dirai jamais que tu m’as pas plu et grâce au nectar sombre veines par-dessus ta peau j’ai vu tes mains dures de mécano fondre en mes chairs et les saisir une fois en elles et tu m’as dit : chérie ou baby regarde cette voiture bleue regarde et approche-toi du bleu de cette voiture ça va te ramener chez toi il faut juste que je me débarrasse du gras – tu vois trop la classe de cette caisse chérie tu la vois alors pour que je la conduise il faut que tu me débarrasses de ce cambouis de merde que j’ai chopé sous la panne de ta caisse pourrie – j’ai dit oui il faut que je fasse quoi ; nettoyer – c’est ça et ouvrir le coffre de ma voiture bleue et prendre le chiffon que tu vois là ou un collant qui traîne mais pas ceux rangés dans les creux des ailes un collant devrait traîner là sinon il y a un chiffon tu le prends et me fais pas le coup du truc trop dègue pour être saisi par tes phalanges d’extrême oie blanche – j’ai pris le chiffon et il s’est décidé à baisser les bras et les dégoulis ont continué ou plutôt recommencé à descendre mais vers les mains et les doigts se mettaient à fondre et les phalanges s’écouler après avoir suivi le chemin tracé du temps où il avait tenu en l’air ses membres et après j’ai fait le geste j’ai voulu balancer le chiffon saturé de gras noir et il m’a dit TUT TUT TUT TUT TUT TUT et de reposer ça dans le coffre ce que j’ai fait puis marché vers le bord du parking pour m’essuyer les mains dans l’herbe vert-sombre et d’argent sur l’autre face et hop on est parti et après quelques kilomètres je me suis aperçu avoir oublié les provisions – à ce moment-là il a tourné le volant pour prendre une route de campagne qu’était pas celle qui menait chez moi et je lui ai parlé de ce ravitaillement oublié – il a dit qu’est-ce que ça peut foutre chérie tu vois bien qu’on va pas chez toi et on a tout ce qu’il faut dans le coffre y’a une glacière – et je pourrai jamais dire que c’était pas vrai je l’avais vue pendant l’histoire du chiffon une glacière bleue dans un écrin métal et de moquette bleus une glacière dont le blanc avait été repeint en bleu et sur le coup j’ai pas réagi il m’avait dit clairement : tu vois bien qu’on va pas chez toi alors ça sert à rien de t’inquiéter on roule tout simplement on fait un détour c’est la vie tu crois pas que c’est la vie les détours est-ce que c’est pas ça la vie (dans la vie on va jamais d’un point à l’autre direct) alors t’inquiètes pas ça roule et je me suis dit quand il a ralenti et passé l’éminence herbeuse surveillée par deux lions de métal barbelé et commencé à prendre un chemin de bosses je me suis pas seulement dit je lui ai dit : où tu m’emmènes là si c’est pas chez moi que tu me remmènes et il a répondu je t’emmène pas chérie-baby je t’amène en riant comme un veau et commençant à faire des trucs avec sa bouche et ses lèvres des bruits de succion avec ses mâchoires ou ses lèvres (je sais plus) disparaissaient et revenaient et là je suis devenue inquiète mais impossible d’en parler parce que les bosses du chemin empêchaient de faire des phrases et qu’insister c’était se mordre la langue alors comme il me le conseillait j’ai regardé la lune qui tressautait dans le pare-brise en vision (regarde la lune c’est cool elle est belle et lumineuse c’est tout) ou tremblait lorsque la caisse roulait sur un à-plat traversé de milliards de sillons des minis-raies qu’on traversait et à un moment l’avant de la caisse s’est mis à la verticale et si haut qu’en plein centre du corps de l’astre j’ai vu le massacre – en fait je l’avais vu avant mais combien de types ont des queues de rats qui pendouillent ou de ratons-laveurs accrochées au rétro ou ce genre de choses lors j’ai pas fait gaffe – j’ai vu la tête de lapin vidée et après je veux dire au moment où j’ai vu ce massacre au milieu de la lune en pare-brise tout après a tourné autour de cet objet et mon regard est resté fixé sur cette ombre et y’avait plus que ça de fixe ; tout bougeait en fureur alentours (et la carrosserie se déformait) mais le crâne était d’une inaltérable immobilité avec les dents tournées vers l’habitacle et je trouvais ça bizarre c’était comme une proue mal lunée enfin la place de ce truc-là était à l’avant du capot avec les dents tournées vers le monde extérieur et les coups continuaient à frapper le bas de caisse et lui riait de son jeune rire bovin en faisant aller et venir sa lèvre derrière et devant sa mâchoire et je pouvais pas dégager mon regard et il a dû – je sais pas comment : y’avait plus de manette – mettre en marche la commande d’essuie-glace et alors y’a eu ce crissement du métal sur le verre du pare-brise et le son atroce rayait ma peau blanche dressant mes poils comme des copeaux de métal.